Pouvez-vous nous présenter votre entreprise ?
Notre constat est que le modèle économique dominant (production/vente), pousse structurellement les fabricants à favoriser le renouvellement des appareils. Or, près de 80% des impacts environnementaux sont associés à la phase de production. Auxquels il faut rajouter les enjeux sociaux sur l’ensemble de la chaîne de valeur, des mines jusqu’au trafic illégal de déchets électroniques.
Il est donc urgent de produire moins et de faire durer plus longtemps les appareils mis en circulation. C’est le sens de nos offres à destination des particuliers et des professionnels. Nous proposons des offres d’abonnements sans option d’achat pour des appareils écoconçus tel que les ordinateurs why! ou les Fairphone. Les clients qui souscrivent à ces offres bénéficient d’un ensemble de service pour faire durer les appareils comme la prise en charge des casses, pannes, assistance à l’usage ou encore le renouvellement de la batterie quand c’est nécessaire.
Enfin, nous avons adopté un statut de Société Coopérative d’Intérêt Collectif. Ceci fait de nous une entreprise à lucrativité limitée qui s’inscrit en défaut des start-up dont la seule finalité est la rémunération du capital. À ce titre, nous sommes membres de l’alliance Les Licoornes.
Quelle est votre définition de la « durabilité » ?
Initialement, la notion de durabilité a été construite par des économistes qui prédisaient qu’il serait possible de découpler la croissance des capitaux économiques du prélèvement de ressources naturelles. Alors que nous avons franchi six des neuf limites planétaires, nous savons aujourd’hui que cette quête du découplage est purement chimérique. Ainsi, une autre définition de durabilité doit s’imposer aujourd’hui. Elle doit nécessairement être associée à une recherche de sobriété et considérer en premier lieu la restauration des écosystèmes et la préservation de nos ressources. En somme, pour être durable, il faudrait que le produit ou le service soit uniquement dépendant de ressources naturelles renouvelables sans pousser au dépassement de leurs seuils de régénération. Autrement dit, les produits électroniques sont à des années lumières de pouvoir être qualifiés de “durables” au sens strict du terme.
Toutefois, si nous avons adhéré au Club la Durabilité c’est bien pour le sens littéral “qui doit durer dans le temps”. Car concernant les produits électroniques, c’est un des seuls moyens de limiter leur impact.
Comment votre entreprise contribue concrètement à la durabilité des produits/ services ?
Au-delà des services que nous proposons qui ont pour vocation de maximiser la durée de vie des produits, nous avons mis en place des incitations financières à conserver le même appareil pour éviter les renouvellements induits par l’arrivée d’un nouveau modèle.
En termes d’économie de ressource, le principal avantage de notre modèle réside dans le fait que nous restons définitivement propriétaires des appareils. Ces derniers nous reviennent systématiquement après un premier cycle de location. À ce moment-là, s’ils sont réparables, nous les remettons en circulation dans un nouveau cycle de location. Si ce n’est pas le cas, nous les utilisons comme source de pièces détachées pour maintenir dans la durée les autres appareils équivalent de notre flotte. Le recyclage matière (qui est particulièrement peu efficace sur ce type de produit) est ainsi repoussé le plus loin possible.
Enfin, l’accompagnement aux logiciels libres que nous proposons (sur smartphone ou ordinateurs) représente également un vrai levier de durabilité. Ces OS plus sobres permettent en effet de redonner une nouvelle jeunesse aux terminaux d’un certain âge.
Quels sont vos enjeux majeurs actuels sur ces sujets ?
Contrairement à Fairphone, trop peu de constructeurs permettent ou facilitent l’installation d’OS alternatifs sur leurs appareils. Ceci limite grandement nos capacités d’exploitation au-delà des mises à jour proposées par les constructeurs. Si l’on ajoute à cela la non-disponibilité de certaines pièces détachées ou la complexité pour retirer une batterie, très peu d’appareils correspondent à notre cahier des charges. La gamme d’appareils que nous proposons en location est donc assez limitée.
Quel est votre avis sur le cadre réglementaire actuel européen et français?
La France a eu le mérite d’être un des premiers pays à s’atteler à la question de l’obsolescence programmée et aux enjeux associés à l’impact du numérique. On peut donc reconnaître une certaine volonté d’agir au travers des lois AGEC, ou REEN. Simplement, pour l’instant, la majorité des mesures sont des mesures incitatives tournées le plus souvent vers le consommateur. L’indice de réparabilité est un bon exemple. C’est une note basée sur une grille auto-déclarative, ayant pour ambition de faire changer le comportement d’achat du consommateur et donc par effet rebond la conception des appareils sur le temps long.
L’heure n’est plus à ce type de mesure, des mesures beaucoup plus structurantes devraient être mises en place comme l’interdiction de la publicité sur les produits électroniques neufs, des quotas de mises sur le marché de nouveaux modèles par année et par constructeur, ou encore une normalisation et une obligation d’interopérabilité entre les pièces détachées de différentes marques.
Au niveau européen, la volonté d’agir est également présente, mais l’emprise des lobbys est telle que les projets de règlements sont nivelés par le bas systématiquement. Comme le récent exemple sur l’indice de durabilité français le prouve, ou encore comme les exemptions qui ont été introduites dans la définition de batterie “amovibles”.
Quelles sont vos sources d’inspiration ou exemples emblématiques en matière de durabilité ?
Le Socotel 1963 : ce téléphone était distribué par le service public dans le cadre des abonnements associés aux lignes fixes. Il était conçu pour être très facilement réparable et il restait la propriété des PTT. Les clients payaient pour son usage et le service public avait tout intérêt à ce que ces appareils durent le plus longtemps possible.
Enfin, bien entendu, Fairphone a été une grande source d’inspiration pour notre coopérative vu que nous avons lancé nos premières offres autour de cet appareil éco-conçus.